L'empire Romain, nous dit-on, a chu du fait d'invasions barbares.

En fait, ces invasions n'étaient autres que des peuplades progressivement poussées vers les murs de l'empire par d'autres peuplades, elles mêmes poussées par d'autres peuplades, etc... toutes motivées par la recherche de territoires plus riches, plus paisibles...

Les dynamiques concurrentielles et de marché ont beaucoup de points communs avec ces invasions barbares.

Telle marque, disons de lessive, ancrée sur un territoire de marque d'efficacité contre les tâches, voit arriver la horde barbare. Les Marques de Distributeurs (MDD) arrivent et saccagent son territoire, lui en prennent la plus grande part et la poussent à déménager vers les terrains de chasse du bénéfice sensoriel, par exemple la douceur du linge ou les parfums. Mais ces territoires sont eux aussi occupés, par des marques anciennes et reconnues. Le combat peut-être rude mais ces dernières émigrent à leur tour et développent d'autres discours, émotionnels, comme le fait de prendre soin des vêtements que l'on aime ou pouvoir se tâcher sans crainte.

Ce type de raisonnement vaut pour le marché des cacahuètes (PSA), des jus de fruits et sodas (BRSA), des voitures ou de l'hygiène beauté, et tant d'autres...

Par exemple, face aux smoothies, Tropicana qui n'était plus le meilleur jus du marché est devenue la meilleure offre de jus dans les moments clef que sont le matin ou l'ambulatoire. Du coup, Orangina a du assumer qu'elle n'était pas un jus mais un soda. Du coup Coca a du maintenir son statut de marque de référence et de première recommandation. Du coup...

Un concurrent arrive, me prend mon territoire, il faut que j'évolue. En faisant cela, je viens déranger une marque installée, qui doit à son tour évoluer. Ad lib.

La question n'est donc pas de savoir si un concurrent viendra. Il viendra.

La question n'est donc pas de savoir si il sera repoussé, car, tôt ou tard toutes les forteresses tombent. Si ce n'est pas ce concurrent là, un autre viendra qui abattra les murs de l'empire. Et si ce n'est pas un concurrent, ce sont les consommateurs, les clients, qui se lasseront de ma marque ou n'en auront plus besoin.

La question est d'envisager qui seront les barbares qui mettront nos murs à bas, d'où viendra la horde.

Quand Steve Jobs a commencé à déployer avec l'iMac ou l'iPod ses objets permettant la convergence des usages numériques, l'extension au téléphone était probable. Puis à la montre, certaine, bien que tardive. Au moyen de paiement, ensuite, évidente bien qu'encore peu utilisée.

Pourquoi les fabricants de téléphone ont-ils regardé ailleurs comme des Romains en pleine décadence ? Pourquoi les horlogers ne réagissent-ils que timidement alors que les premiers modèles de Pebble crevaient les plafonds de Kickstarter il y a plus de 3 ans ? Pourquoi Visa, Mastercard ou les distributeurs n'ont ils pas anticipé le développement d'Apple Pay, alors même que Google Wallet existait déjà et que les prophètes annoncent depuis plus de 10 ans l'avènement du paiement mobile ?

La question est aussi de savoir comment évoluer quand il viendra, et peut-être même avant qu'il vienne, pour l'empêcher de nous rejoindre. Comment trouver, dans sa marque et son identité, la force de se ré-orienter, de faire revenir ses clients. Comment cuire un plus gros gâteau puisqu'il faudra probablement le partager.

Par exemple, Xerox a su se souvenir que son métier n'était pas les photocopieurs mais la gestion et la diffusion de l'information, que la photocopie (xérographie) n'était que le premier moyen employé pour le faire.

Par exemple, Dove a su, pour résister aux MDD, compléter sa marque de savon d'une légitimité beauté qu'elle seule pouvait avoir puisqu'un savon lave, enlève tout ce qui n'est pas nous. Si c'est un savon de beauté, alors nous sommes déjà belles et beaux. Et elle a par la même occasion effectué une belle razzia chez L'Oréal et Yves Rocher...

Par exemple, Nespresso a su développer sa base de clientèle pour éviter de concéder trop de part de marché aux distributeurs et torréfacteurs à l'expiration de ses brevets.

Alors quel rapport avec les verres ? C'est le fameux -et fumeux- discours du verre à moitié vide ou à moitié plein; il paraît que les pessimistes le voient à moitié vide, les optimistes à moitié plein.

Et les pragmatiques ? Ils le voient plein.

Plein d'eau et d'air.

Ces marques ont su trouver de quoi était plein leur verre. Et le vôtre, qu'y a-t-il dedans ?

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Le verre et les barbares